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  • Article publié le 13 avril 2021
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UFSE-CGT | Suppression de L’ÉNA : L’État schizophrène ou la nouvelle démagogie de Macron

L’annonce de la suppression de l’École nationale d’administration (ENA) est un exemple parmi d’autres de l’inconstance des pouvoirs publics face aux défis de la fonction publique.

Elle laisse un sentiment à la fois de gâchis et d’incohérence.

Certes, la plupart des critiques à l’égard de cette « fabrique des élites » sont justifiées : diversité sociale insuffisante ; machine à classer davantage qu’à former.

Mais à qui la faute ? En 1945, la création de cette école d’application était justifiée par la nécessité de produire, par voie de concours, une élite administrative républicaine face au népotisme alors en vigueur. Mais elle a aussi instauré le classement de sortie, permettant de répartir les élèves entre grands corps et petits corps, créant ainsi un système de castes qui a été sans cesse contesté, y compris par les élèves eux-mêmes.

Depuis 12 ans, l’ENA a fait l’objet de nombreuses réformes, à un rythme quasiment annuel. Elles traduisent aussi bien la nécessité de faire évoluer cette école que l’incapacité des gouvernements à la traiter comme ce qu’elle est : un instrument de l’État au service de la formation initiale et continue de ses cadres. Face à la critique grandissante à l’encontre des élites, l’ENA est devenue pour les gouvernements un objet gênant, un corps étranger et, pour finir, le coupable idéal de l’impuissance de l’action publique.

Or, qu’est-ce que l’ENA ? Un établissement public sous tutelle de l’État ; un service du Premier ministre. Son directeur est nommé par décret du Président de la République.

Elle bénéficie d’une subvention de l’État qui représente 85 % de ses recettes. Alors, quand nos gouvernants, qui en sont pourtant le pur produit, critiquent la déconnexion des élites et la culture de l’entre-soi dont cette école serait responsable, c’est à eux mêmes qu’ils adressent ces critiques, mettant ainsi en évidence leur incapacité à traiter le problème de manière rationnelle et efficace.

D’où l’empilement des réformes touchant les concours d’entrée, la scolarité et la procédure de sortie. D’où une réduction drastique des moyens, se traduisant notamment par la suppression de 23 % des emplois de l’ENA entre 2009 et 2020. D’où la réduction de la durée de la scolarité de 27 à 18 mois, avec une formation aux métiers de la fonction publique réduite à la portion congrue : 6 mois à l’école et le reste en stages. D’où la tentative de faire croire qu’on fera mieux avec moins, antienne préférée des gouvernements lorsqu’ils abordent la réforme de l’État et en particulier la restructuration de ses écoles d’application. On pense notamment aux IRA (instituts régionaux d’administration), petites sœurs de l’ENA, dont la scolarité est réduite dorénavant à une durée symbolique de 6 mois.

Ce traitement humiliant ne se limite pas aux réformes. Il se traduit dans les errements du pouvoir exécutif :
 Octobre 2018 : engagement d’un plan de transformation de l’ENA ;
 Avril 2019 : annonce de la suppression de l’ENA par le président de la République ;
 Février 2021 : présentation par le chef de l’État de la création d’un concours « talents » d’entrée à l’ENA, destiné à favoriser la diversité sociale ;
 Mars 2021 : conclusion d’un contrat d’objectifs et de moyens entre le Premier ministre et le directeur de l’ENA ; eh oui, l’État négocie des contrats avec ses propres services et donc avec lui-même, signe d’une pathologie schizophrénique ;
 Avril 2021 : annonce de la suppression de l’ENA, par le fait du Prince.

Quel gâchis ! De temps et d’énergie consacrés par des fonctionnaires à faire, défaire puis refaire. À présent, il va donc falloir rebâtir une nouvelle école (l’institut du service public — ISP) : trouver des locaux pour accueillir, dans le cadre d’un tronc commun, des élèves issus de treize différents concours administratifs ; élaborer un nouveau programme de formation ; former de nouvelles équipes, désigner de nouveaux dirigeants. N’avons-nous rien de mieux à faire dans le contexte sanitaire, social et économique actuel ?

Et tout cela, pour quoi faire ?

Favoriser la diversité sociale ? Les annonces présidentielles n’apportent, à ce stade, rien de neuf.

Un concours d’accès aux doctorants a été créé il y a deux ans. Le nouveau concours « talents » était dans les tuyaux depuis deux mois et programmé pour fin 2021. Des classes préparatoires intégrées « talents – égalité des chances » ont déjà été créées à Paris, puis Strasbourg et bientôt Nantes. Et on ne sait pas si d’autres viendront, alors qu’il est indispensable que de tels centres soient généralisés sur l’ensemble du territoire afin de favoriser l’égalité réelle au sein de la fonction publique.

Par ailleurs, quel crédit accorder en matière de diversité sociale au pouvoir exécutif actuel ?

Il n’est qu’à voir la composition des cabinets ministériels où il relève de la gageure de trouver un·e ouvrier·ère ou un·e agent·e de catégorie C ou B. Pourtant, la nomination dans ces sphères dépend uniquement de la volonté des membres du gouvernement.

Améliorer la scolarité ? Rien de neuf en vue, les réformes successives ayant déjà conduit au rétrécissement de la durée de la scolarité à l’ENA au seuil minimal et à la réorientation des enseignements autour du développement des savoir-faire. Tout au plus conviendra-t-il d’y caser un enseignement en tronc commun avec les 12 autres écoles d’application des trois fonctions publiques. Bon courage aux rédacteurs de ce projet.

Modifier les modalités d’affectation dans l’administration ? Une seule nouveauté, à ce stade, est à signaler. Elle consiste à affecter les élèves du futur ISP dans le corps unique d’administrateurs de l’État. La démarche paraît louable, car elle conduit à supprimer l’accès direct aux grands corps, à la fin de la scolarité. La promotion dans les corps du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de l’inspection générale des finances sera donc soumise à une expérience préalable de 6 ans permettant aux jeunes administrateurs de faire leurs preuves. Mais l’annonce du maintien du classement de sortie de l’école jette le trouble. À quoi bon maintenir la mise en concurrence des élèves, pourtant peu compatible avec le développement du sens de l’intérêt général, si au final, ceux-ci seront intégrés dans le même corps ? En quoi ce classement déterminera-t-il l’accès différé à ces grands corps ?

Ainsi, la suppression de l’ENA pose plus de question qu’elle n’y répond. Et on peine à comprendre comment elle contribuera à mettre un terme à la critique des élites.

Critique largement démagogique au demeurant. Il est aisé de comprendre que le Président cherche à trouver des boucs émissaires à ses propres turpitudes et incuries.

Au-delà et c’est là l’essentiel, on ne voit pas en quoi cette annonce apporte une réponse aux enjeux de la démocratisation de l’accès à la haute fonction publique et de la mise en oeuvre d’une formation véritablement professionnalisante.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », telle semble être aussi l’antienne, moins avouable, de nos gouvernants.

L’UFSE-CGT, qui depuis des années a avancé de nombreuses propositions pour de véritables réformes de la haute fonction publique comme pour mieux prendre en compte la diversité sociale à tous les niveaux, continuera d’œuvrer pour un Statut renforcé et rénové, aux antipodes des politiques régressives actuellement menées.

Montreuil, le 12 avril 2021

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