- Article publié le 3 avril 2012
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Les artistes de l’Opéra demandent un véritable service public de la culture
Monsieur le ministre de la Culture,
Mesdames et messieurs les élus des collectivités territoriales,
Mesdames et messieurs les directeurs de maisons d’Opéra ou d’ensembles lyriques,
Mesdames et messieurs les inspecteurs du Travail,
Mesdames et messieurs les candidats à l’élection présidentielle,
Soumis comme chacun aux injustices d’une société dont on cherche à nous faire croire qu’elle est en faillite, les artistes lyriques décident aujourd’hui de faire entendre aussi leur voix en tant que citoyens sur la scène politique, auprès des instances professionnelles et également du public et des contribuables.
Titulaires et précaires, nous en avons assez de nous entendre reprocher le coût de notre travail sans que jamais l’on ne parle de sa valeur. Artistes avant tout, nous déplorons un constant étiolement du service culturel public, au mépris des artistes comme du contribuable, qui continue de payer la facture sans être convié au spectacle.
Dans les maisons d’Opéra, la légitimité du personnel artistique est sans cesse remise en question (c’est encore actuellement le cas pour le chœur de l’Opéra de Montpellier), alors que l’argent public nourrit souvent des équipes de direction pléthoriques et des directeurs aux salaires parfois indécents. Les budgets artistiques, eux, se resserrent de plus en plus ; les saisons diminuent (souvent cinq ouvrages maison montés par an, parfois moins), les maisons d’Opéra deviennent des « théâtres d’accueil » où les spectacles, sous-traités, sont confiés à de petites structures bafouant régulièrement le droit du travail (tarifs inférieurs à ceux de la convention collective, voire travail dissimulé).
Bref, la montagne technocratique accouche d’une souris artistique, et c’est le contribuable qui finance. Mais à quoi sert l’argent ?
Nous demandons que soit garanti un véritable service public de la culture, présentant une offre de spectacles fournie et à des tarifs suffisamment évolutifs pour pouvoir être accessible à tous les publics ; nous demandons que soit développée l’action culturelle en direction des publics peu familiarisés avec l’Opéra, notamment auprès des plus jeunes, dans le cadre de partenariats réguliers entre les établissements scolaires et les théâtres.
Nous exigeons la transparence des budgets et des salaires pratiqués dans les maisons d’Opéra. Nous préconisons aussi que les plus hauts salaires soient plafonnés en fonction des plus bas et que le budget artistique soit toujours prioritaire. Nous exigeons que soient organisées des saisons décentes. Nous sommes passés de dix productions par théâtre il y a une dizaine d’années à quatre ou cinq aujourd’hui. La garantie d’un service culturel public, la légitimité des artistes titulaires et un volume d’emploi suffisant pour les artistes engagés en contrat à durée déterminée (CDD) et en contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) nécessitent au moins six à sept productions maison par an.
Dans un monde du travail de plus en plus soumis à la concurrence et au chantage, les artistes lyriques engagés en CDD et en CDDU et touchant, pour certains, des allocations chômage, deviennent les otages d’employeurs peu scrupuleux bafouant quotidiennement le droit du travail. Salaires inférieurs à ceux de la Convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles (CCNEAC), travail dissimulé (travail préparatoire et répétitions non payés, travail au noir, « utilisation » des amateurs en lieu et place des professionnels, déplacements et indemnités de séjour non payés (c’est notamment le cas dans les maisons d’Opéra de Marseille, de Strasbourg, de Toulon, de Dijon et de Massy, au théâtre du Capitole à Toulouse, à l’Opéra de Paris, et dans la plupart des ensembles lyriques Profédim)… Les artistes lyriques précaires sont souvent obligés de se plier à des exigences hors-la-loi qu’on ne tolérerait dans aucune autre profession ; une bonne partie de leur travail n’est pas rémunérée : dans certaines structures, les répétitions (des heures et des heures de travail) ne sont ni déclarées, ni payées. Cette situation conduit certains à devoir payer pour travailler, alors que le bon sens prônerait plutôt l’inverse. Mais lorsque le travail se fait rare, tout est permis pour les employeurs et hélas accepté par les salariés.
Nous exigeons le respect de la convention collective (CCNEAC) au sein des maisons d’Opéra qui l’ont signée et des ensembles Profédim. Dans les autres structures, nous demandons qu’un salaire et des conditions de travail décents soient garantis aux artistes. Nous insistons également pour que l’inspection du Travail soit sensibilisée à ces pratiques, qu’elle intervienne systématiquement lorsqu’elle est sollicitée et qu’elle soit dotée de moyens suffisants pour remplir sa mission. Il est nécessaire de répondre à ces pratiques frauduleuses par des sanctions.
Nous demandons que soient clarifiées les lois encadrant la pratique amateur : il nous est insupportable d’être sans cesse mis en concurrence avec des chanteurs non rémunérés, y compris sous couvert de formation (stagiaires et apprentis). De même, nous exigeons que prenne fin la discrimination par l’âge dont souffre actuellement notre profession, les annonces de recrutement semblant entériner le fait qu’un chanteur digne d’intérêt a forcément moins de trente ans…
Nous espérons que notre message sera entendu. Aujourd’hui, la sauvegarde de nos métiers et de notre patrimoine culturel est en jeu. Nous demeurons naturellement à votre entière disposition afin de mener plus avant ensemble cette réflexion nationale.